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Grogner pour mieux rebondir

Grogner pour mieux rebondir

La dernière fois que j’ai vu mon oncologue il m’a demandé : « Comment va le moral ? » Je lui ai répondu : « Bien, en général bien. » Et c’est vrai. Je ne suis ni déprimée, ni dans la peine, ni dans la peur. Mais spontanément, j’ai ajouté : « Mais je suis en colère. » Et c’est en lui disant ces mots que j’ai pris conscience de la source de mon moteur.

Je connais par coeur les étapes du deuil. J’ai travaillé avec la mort dans ma vie professionnelle : bénévolat auprès de familles endeuillées, création de groupes de soutien, rencontres individuelles avec des personnes vivant un deuil … bref, la théorie ça me connaît ! Comme tout le monde j’ai eu à faire des deuils dans ma vie : divorce, peine d’amour, changement d’étape.  Mais le cancer c’est autre chose. Un deuil énorme bien sûr, surtout des certitudes, beaucoup du pouvoir que je croyais posséder sur moi et ce qui m’entoure.

Cinq étapes au deuil :

1ère étape : le choc et le déni de la réalité. J’ai vécu le choc de plein fouet. Le déni … très peu. J’ai vite fait du cancer ma réalité.

2e étape : la réaction de colère et de révolte face à la situation. Colère oui … et je vous en reparle.  Révolte peu.

3e étape : la négociation afin de chercher à composer avec la nouvelle situation. C’est la phase où l’on commence à se projeter dans l’avenir, à trouver des arrangements. J’ai beaucoup baigné dans cette étape et j’y suis encore.

4e étape : la réflexion et le retour sur soi. L’écriture, la marche, les échanges avec les ami(e)s, la famille se situent là.

5e étape : l’acceptation. Plier, dire oui, s’ouvrir à la maladie. Difficile mais faisable.

Ces étapes reviennent en boucles dans l’ordre ou le désordre. Le temps où les émotions sont très intenses et sur une longue période diminuent. Mais elles reviennent toutes, sauf la première. Elles tourbillonnent dans ma tête et dans mon ventre. Je peux ne pas y toucher pendant des jours et puis retomber à deux pieds joints dedans avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de satisfaction, plus ou moins de colère …. Voilà le mot est lancé.

Je suis en colère.  Pas tout le temps. Mais la boucle qui frise le plus c’est celle-là. Or, je suis de bonne culture judéo-chrétienne, élevée chez les religieuses et que je le veuille ou non cela laisse une empreinte. Je vous rappelle que la colère est un des sept péchés capitaux et en plus je suis une femme … Je suis supposée être douceur et tendresse … Alors la colère c’est vraiment pas bien , pas beau, pas acceptable. Bien sûr que c’est de la bouilli pour les chats mais c’est quand même tatoué quelque part en moi.

Beaucoup de choses me mettent en colère. Le parcours atypique de la prise en charge de ma santé par le système (tant de reports, tant d’attente), le bébé de 2 mois et demi qui fait la queue avec ses parents à l’accueil de la chimiothérapie, l’organisation bancale des services autour des malades, le manque d’informations, les silences, le « pessimisme » de mon oncologue qui me prédit toujours le pire, le poison que l’on me met dans le corps alors que personne ne sait si c’est nécessaire, les effets secondaires, cette épreuve que je ne voulais pas, ma masse musculaire qui diminue alors que j’ai fait tant d’efforts depuis 2 ans pour l’acquérir, les gens qui se plaignent de niaiseries, l’incapacité des infirmières en chimio à recevoir les émotions des patients … et je pourrai continuer et remplir une page !

Au début, j’étais bien mal à l’aise avec ma colère. Et quand je l’exprimais je mettais les gens autour de moi dans la même émotion. Et puis j’ai compris. J’ai compris que la colère surgit lorsque l’équilibre est rompu dans un aspect de notre vie. Je suis en plein déséquilibre. J’aurais pu m’écraser, pleurer, hurler, déprimer, nier, me refermer, me taire. J’ai choisi de rebondir. Et c’est la colère qui m’en donne la force. Elle me donne de l’énergie, mobilise mes ressources et me pousse à l’action. Elle me permet d’assurer ma défense, elle m’aide à maîtriser les situations difficiles. Elle est mon moteur.

Elle m’a permis de me battre pour faire avancer mon dossier pendant les mois où se fut si difficile. Elle me fait marcher tous les matins juste pour prouver à mon oncologue qu’il se trompe. Elle me permet de traverser les effets secondaires avec un certain sourire puisqu’elle nourrit l’idée que la chimio ne m’aura pas. Elle me fait rebondir quand le moral baisse. Elle me permet d’écrire, de dire, de me confier, de parler parce qu’elle refuse de me laisser vivre tout cela seule. Elle a fait le pari de la vie et je l’écoute religieusement chaque fois qu’elle me secoue.

Tout cela ne se passe pas toujours dans une douce maturité. J’ai eu des coups de gueule, j’ai monté le ton, j’ai sacré,  j’ai pleuré de colère. J’ai eu envie de frapper l’infirmière qui m’a annoncé que ma chirurgie était remise. Je n’ai jamais été aussi en colère de ma vie. Je n’ai jamais eu envie de frapper quelqu’un. Le désir était si intense que j’ai eu peur de moi-même.

Il m’arrive encore de vivre des pointes de colère intense surtout quand je vois des bébés, des enfants en oncologie ou des patient(e)s qui pleurent, qui sont dépassé(e)s et que rien n’est prévu pour les soutenir. Mais en général, si elle fait partie de ma vie, elle a pris un aspect plus conciliant et surtout positif. Elle me fait tous les matins le cadeau de l’énergie, elle nourrit ma capacité d’indignation, m’implique dans la lutte.

Il serait grand temps que je révise ma compréhension des sept péchés capitaux.

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