Les cheveux
Dans notre imaginaire, le cancer est irrémédiablement lié à la perte des cheveux. Nous avons toutes et tous en tête l’image d’une tête chauve, les yeux cernés et le teint un peu jaunâtre … et c’est la plupart du temps une femme. Quand j’ai appris que j’avais le cancer la pensée de la perte de mes cheveux m’a effleurée l’esprit. Mais il y a tant de choses à vivre, à comprendre, à apprivoiser, à gérer que cette perspective devient très secondaire. Jusqu’à la première rencontre avec l’oncologue.
Je suis là, assise dans son bureau et j’essaie d’assimiler les 3 millions d’informations qu’il me transmet. Je tente d’être intelligente, de poser des questions sensées, d’écouter mes peurs pour aller chercher les bonnes réponses. Je ne suis pas du tout certaine d’y arriver. Nous en sommes aux effets secondaires du premier traitement que je recevrais le FEC 100. J’apprends en boucle qu’il peut m’arriver une série de calamités : bouche sèche, ulcères, muguet (oui comme les bébés), goût de métal, nausées, fatigue extrême, mal aux articulations, muqueuses désertiques (Si vous avez une vie sexuelle active Madame Poirier, achetez-vous du lubrifiant … bon, noté … mais qu’on se sent bien loin des galipettes ! ), mal aux os, étourdissements, constipation, diarrhée et que sais-je encore … Les sept plaies d’Égypte n’ont qu’à bien se tenir ! Et puis, Le Dr Hanel me regarde droit dans les yeux et me dit : « Vous allez perdre vos cheveux Madame Poirier, aucune chance d’en réchapper. » Bon, on s’en fout, je suis restée coincée au muguet … cette annonce demeure virtuelle, complètement déconnectée.
De retour à la maison je me mets à lire toutes les brochures que l’on m’a données à l’hôpital. Je replonge dans le muguet et ses compagnons. Je lis et je nuance. Je sais bien que je n’aurai pas tout ça et comme dit mon amie Lucie : « Si il fallait s’attarder aux effets secondaires de tout ce qu’on utilise on utiliserai plus rien. Tu as juste a regarder sur les boîtes de tampons et de Tylenol. » Mais voici le paragraphe sur les cheveux … celui-là c’est certain que je vais le vivre. Cela reste quand même virtuel. J’ai encore mes cheveux longs, ma première chimio est dans deux jours, je dois bien avoir une couple de mois de répit. Ben non ! J’apprends lors de ma chimio que cela peut être très rapide … une semaine. Ouf ! Alors, c’est tout moi ça, je me mets en mode action : coupe de cheveux, inscription à Belle et bien dans sa peau.
J’ai commencé à perdre mes cheveux deux semaines après ma première chimio. Cela commence tout doucement. La texture des cheveux change, ils deviennent rêches, ternes, raides. Et puis, un matin, j’ai le courage de prendre une petite mèche entre deux doigts, je tire … tout vient sans difficulté, sans douleur … mes cheveux sont morts. Et la période « tombée du cheveux » démarre.
Afin d’apporter une petite note scientifique à cette chronique, sachez, Lecteurs, que nous avons ente 100 000 et 150 000 cheveux sur notre tête. Ce qui représente 100 à 300 cheveux au cm2. Toutes les coiffeuses qui m’ont coiffée ce sont toujours exclamées « Mon Dieu que vous avez beaucoup de cheveux, qu’ils sont épais ». Je décide donc, de façon aléatoire et sans aucune preuve, que je possède (possédais) au moins 140 000 cheveux.
Normalement les caucasiens que nous sommes, perdent en moyenne 60 cheveux par jour en automne, 45 au printemps et 20 à 25 en hiver. Si je fais un calcul rapide, je perdrais d’ici ma prochaine chimio 5000 cheveux par jour ! Avez-vous une idée du nombre de poils que cela représente … affolant.
Je suis devenue la copine du Petit Poucet, n’importe qui peut me suivre à la trace. Suivez le cheveux ! Cette perte soudaine entraîne une série d’inconvénients. La nuit, mon oreiller se couvre de cheveux. Il en revole sur Jean-Pierre, sur son oreiller et dans les draps. J’en respire et je me réveille avec quelques cheveux dans la gorge. Alors avant de faire le lit je sors le petit rouleau collant et je nettoie avec attention. Je passe trois à quatre feuilles de petit rouleau collant ! Chaque fois que je m’habille ou que je me déshabille je retrouve une culture de cheveux sur mes chandails. Mes chapeaux doivent être nettoyés deux ou trois fois par jour et surtout pas de cuisine sans rien sur la tête ou tout sera assaisonné de restes capillaires.
Cette période est assez embêtante. En fait, c’est bien fait. Faire la chasse aux cheveux ne me fascinent pas. J’ai donc hâte qu’ils ne soient plus là.
J’essaie d’accélérer le processus. Je prends de longues douches avec le jet sur la tête. Je passe mes mains sur ma tête et mes paumes se couvrent de cheveux. Poils aux mains ! Quand je vais marcher et qu’il y a du vent, j’enlève mon chapeau et je tire doucement par poignées. Au début j’imaginais que ma tête était un pissenlit et que mes cheveux s’envolaient au vent comme ses pistils. Mais je dois faire attention car mon cuir chevelu est extrêmement sensible et ce n’est pas long que cela devienne inconfortable. Puis ça pique aussi.
Vous vous demandez de quoi j’ai l’air la tête pas couverte ? Des plaques sans cheveux, des bouts de crâne. J’avoue que ce n’est pas d’une élégance folle.
Je ne sors plus sans foulard. J’y suis ça y est … Et si Belle et bien dans sa peau ne m’a pas appris grand chose je peux vous affirmer que trouver des modèles sur internet et se nouer le foulard en rigolant avec sa fille un samedi matin est bien plus comblant et tendre que n’importe quelle formation !
Ne plus avoir de cheveux ne me dérange plus vraiment. En fait ce que je devrais apprivoiser c’est le regard des autres. Oserais-je me montrer sans cheveux à quelqu’un d’autre que Jean-Pierre ? Aujourd’hui la réponse est non. Demain elle sera probablement différente car je me rends compte à quel point on s’habitue à tout. La prochaine crainte … la perte des sourcils, cella là viendra plus tard.
J’ai un petit chapeau cloche blanc cassé en coton, tout léger que je porte tout le temps dans la maison pour éviter de semer à tous vents les cheveux qu’ils me restent. Hier soir mon amoureux m’a embrassé en me disant: « J’ai toujours aimé Calimero ». J’ai rit.
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