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L’intégrité physique

L’intégrité physique

Dans mon vieux Petit Robert tout en papier il est écrit :

Intégrité : État d’une chose qui est demeurée intacte.

Je ne suis plus intacte, mon corps n’a plus rien d’intègre.

Aujourd’hui je voudrais vous partager mes réflexions sur tout ce qui a été abîmé … toutes ces altérations physiques qui finissent pas devenir des altérations émotives. Il y a dans le parcours des traitements du cancer une quantité de deuils qui ne sont pas tous gérés au fur et à mesure. Il y en a trop, trop rapidement.

La chirurgie, première atteinte. Vous vous doutez bien que l’ablation d’une tumeur n’a rien à voir avec la chirurgie esthétique. Ce n’est pas l’horreur. Mais quand même. J’ai évidemment une cicatrice pas très discrète à la gauche de mon mamelon. Il s’en trouve déformé. Mon sein est aussi creusé et plus haut que mon sein droit. Je fais un clin d’oeil ! Cela me donne un drôle d’air quand je suis torse nu. Est-ce que je suis bouleversée par ce changement ? Pas vraiment, cela ne m’empêche pas de dormir mais cela touche quand même mon image corporelle. Je suis moins à l’aise, je me sens abîmée, moins désirable, moins excitante. Ce deuil là n’est pas terminé. Encore des croûtes à manger …

Les cheveux, deuxième atteinte. Mais, dans mon cas, ce deuil là est fait. Je vis très bien sans cheveux et je vous dirai même que j’aime ça. Je pense à les garder très courts quand ils repousseront. Je ne me sens pas du tout moins féminine sans eux. J’ai développé une petite tendresse pour mon crâne et je pense qu’il me manquera.

Puis il y a tout le reste. Tout ce qui fait des égratignures à mon image, tout ce qui fait de mon corps, par moments, un étranger. Les veines de mon bras droit qui sont devenues si dures que même moi, néophyte des intraveineuses, je m’en rends compte. Les bleus partout puisque dès que je frôle un meuble je développe un hématome. Ma peau, devenue mince et fragile, qui ne supporte plus la chaleur et qui se blesse si facilement. J’ai perdu un ongle d’orteil et j’en ai quatre autres avec des taches bleues, résultat de mes marches matinales sur des ongles fragilisés. Et ceux de mes mains ? Remplis de stries et jaunâtres, comme les fumeurs. Ma masse musculaire qui a diminué et tous ces efforts de mise en forme (avant la maladie) qui sont partis en fumée. La musculation et le jogging seront à reprendre du début, je me sens flouée. La douleur dans les jambes qui perdure et peut-être pour plusieurs semaines. Mes jambes et mes mains qui enflent encore. Et ce qui s’en vient avec la radiothérapie : sein rouge et sensible (genre coup de soleil), probabilité d’infection surtout en dessous du sein. C’est le sein gauche, du côté du cœur : « On va tout faire pour protéger votre cœur, me dit la radio oncologue, mais il sera impossible de complètement y arriver. Normalement cela ne devrait pas causer de problème. » Cela ne m’inquiète pas vraiment. La possibilité de rester tout le reste de ma vie avec le sein rouge ou brun me dérange beaucoup plus. Et puis, ensuite il y aura l’hormonothérapie, qui durera 10 ans, avec des effets secondaires pas plus marrants : prise de poids, boutons, bouffées de chaleur et baisse de libido.

Oui des deuils il en reste et plusieurs et d’autres viendront. Je les vois pointer le bout du nez. Il faudra avaler, accepter, comprendre, trouver des alternatives ou tout simplement subir et se résigner. Et cela me ressemble si peu !

Ne me dites pas que tout ce qui est écrit dans le précédent paragraphe n’est pas permanent et que tout ça finira par disparaître. Je le sais autant que vous. Je sais que dans un an je n’aurai plus de séquelles … à part mes ongles qui resteront striés et ma libido qui prendra peut être le bord (cette perspective me met dans une colère noire …) Je sais aussi que je pourrai reprendre l’entraînement et courir mon premier 10 km. Je le sais … mais je me sens quand même flouée.

Mon corps c’est mon véhicule, ma machine à sensations. C’est lui qui me permet de sentir la chaleur et la douceur des autres, de jouir d’un bon repas, de flairer les bonnes et les mauvaises odeurs, de me gorger de beauté, d’échanger avec les gens que j’aime. Mon corps est à moi. Seulement à moi. C’est mon réceptacle, mon refuge, ma porte sur le monde. Il me fait toucher au bon et au mauvais, au doux et à l’ardu. Je n’ai que lui, une seule fois dans une vie, une seule chance d’en profiter. Et on me l’abîme. Et même si je sais qu’il y a là volonté de me guérir j’ai quand même envie de gronder : « De quel droit ? ». Je sais que ce n’est ni rationnel, ni raisonnable … mais de quel droit mon oncologue touchera à ma libido, me fera grossir et pousser des boutons ?

C’est l’éternel tourbillon dans lequel je n’ai aucun pouvoir. C’est tout c’est comme ça. Tais-toi et marche ! Or, quand on a le cancer si on peut contrôler au moins une chose, on se sent déjà mieux. En ce moment je suis en perte de contrôle. La radiothérapie commencera le 15 septembre. Encore une fois devant l’inconnu. Quel pouvoir pourrais-je récupérer pendant ce traitement ? Comment mon corps réagira-t-il ? Où sera-t-il de nouveau fragilisé ? Personne ne le sait, personne ne peut le savoir.

Mais moi je sais que ce corps, que je ne reconnais pas tout le temps, qui me fait vivre des réactions étrangères à ce que nous connaissons tous les deux, ce corps, donc, qui est mien, tentera, encore une fois, de s’en tirer le mieux possible. Il essaiera de se reconnaître, d’apprivoiser l’image que le miroir renverra, de faire sien les effets secondaires. Est ce que j’en ai marre de recommencer ? Oui. Ais-je le choix ? Non. Autant le faire avec mon corps encore endeuillé mais heureux d’être toujours en vie.

 

« Une fois pris dans l’événement, les hommes ne s’en effraient plus. Seul l’inconnu épouvante les hommes.  »

Antoine de Saint-Exupéry

Extrait de Terre des hommes

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