La marche ou le bonheur quotidien
Une fois que j’ai vu un peu plus clair dans mon parcours, je me suis mise en mode solutions. Je vous l’ai déjà dit je crois … je suis Miss Solution ! Le questionnement était le suivant, qu’est ce que je peux bien faire pour m’aider ? Vers quoi me tourner ? Tout est possible … la visualisation, la massothérapie, l’acupuncture, le groupe de soutien, l’aide individuelle, le sport, la méditation, la prière ou la recherche de spiritualité … bref il n’y a pas de fin à une liste pareille. Cela dépend de qui nous sommes, où nous en sommes, de ce qui nous parle.
Je n’ai pas réfléchit bien longtemps. La marche avait fait partie de mon parcours pendant les mois difficiles d’attente et de peur. Elle me semblait la solution. Puis je me suis demandée si j’en faisais assez. Est-ce suffisant de marcher ? Ne devrais-je pas aussi faire de la visualisation, imaginer mon cancer se faire détruire par des lasers, me créer un coin refuge bâtit de mon imaginaire ? Est ce qu’il est normal que je ne ressente pas le désir d’aller chercher de l’aide individuelle ? Est-ce que je nie quelque chose ? Est-ce que j’en fais assez ? Car on a envie de tout mettre ce que l’on peut dans le plateau de la balance, celui qui penche vers la vie, la santé, la lutte équilibrée. Est-ce que je dois accumuler les solutions ou me plonger dans une seule ?
Et puis, un jour j’ai vu une conférence des Belles soirées de l’Université de Montréal au Canal Savoir. L’avantage de rester à la maison … Un médecin qui a travaillé toute sa vie sur le stress, sur la façon que nous avons de vivre en appréhension au lieu de vivre le moment présent. Il parlait aussi du lâcher-prise. Il expliquait que devant une situation embêtante ou un problème nous avons toutes et tous tendance à nous mettre en mode solutions. Plus ou moins consciemment nous organisons dans notre tête une série de plans le A, le B, le C et ainsi de suite. Et nous essayons, le A d’abord, bien sûr, puis le B etc. Quand un plan fonctionne on s’y maintient, on le nourrit, on le peaufine et on oublie les autres. C’est quand aucun plan ne fonctionne et que nous nous rendons au bout de nos limites que le lâcher prise prend toute son importance. Je sais cela semble d’une simplicité absolue mais pour moi cela a été une révélation. J’ai compris pourquoi la marche avait tant d’importance dans ma vie. C’est mon plan A, il fonctionne, les autres n’ont, pour le moment, pas d’espace.
Alors je marche. Tous les jours, 80 minutes de marche rapide, autour de 12 km je crois. Je n’ai pas officiellement calculé. Bien sûr j’avais de l’entraînement. Avant que ma vie bascule je m’entraînais depuis 18 mois. J’avais pris ma santé en main, perdu au-dessus de 100 livres et découvert avec un infini plaisir le bonheur de réhabiter mon corps. En octobre, moins d’un mois avant la découverte de ma tumeur, je courrais mon premier 5 km officiel pour le cancer du sein (ironie quand tu nous tiens!) et je commençais à m’entraîner pour le 10 km du marathon d’Ottawa … juste pour le plaisir. Alors bouger faisait déjà partie de ma vie. C’était même essentiel à ma vie. J’ai continué c’est tout.
Je me suis fait un trajet dans mon quartier. Moins exigeant que certaines de mes anciennes marches, mais quand même intéressant. Moins de montées impressionnantes mais des bouts de cardio et des faux plats. Je me réchauffe en marchant dans les rues autour de chez moi, puis je longe le cimetière et je me dirige vers le parc Victoria. C’est un vieux parc charmant, rempli d’arbres centenaires, de tables de pique-nique et même, parfois de chevreuils ! Pour y accéder je traverse un petit boisé 1 km de sentiers, à peine. Cela sent bon le sous-bois, la terre humide. Le vent fait de la musique dans les feuilles et la pluie toujours de grandes flaques boueuses qui me ravissent … j’aime la boue. Je marche dedans avec plaisir et j’aime bien m’éclabousser. Je fais le tour du parc avant de reprendre mon petit boisé pour remonter au cimetière que je sillonne de façon systématique. J’aime les cimetières … presqu’autant que la boue ! Et puis je m’y suis fait un copain. Au bout de ma dernière montée je laisse le chemin pour traverser un bout de gazon. C’est là que repose Gaston D. Il est décédé en 1991, jeune. Il y a une photo de lui sur sa pierre tombale. Il avait une grosse moustache. C’était un pêcheur et avait deux enfants. C’est tout ce que je sais de lui. Mais lui me connait bien. Je lui parle chaque fois. Il a partagé mes colères, mes peurs, mes joies, mes victoires, mes émotions, mes pleurs. Je ne manque jamais de lui raconter quelque chose. Et puis à la sortie du terrain, il y a la grande statue de Jésus en croix. Je suis croyante. Pourtant je n’ai pas prié une seule fois depuis le début de mon aventure. Il me semble que Dieu n’a rien à voir dans cette histoire. C’est mon combat. Par contre, chaque fois que je sors du cimetière, je me retourne vers la statue et je la salue, un bonjour qui veut dire : « Ne me lâche pas toi. Je ne te parle pas souvent de ces temps-ci, mais t’as pas le droit de m’oublier. »
Alors je marche. Et c’est ma panacée, mon échapatoire, mon ouverture sur la vie, ma thérapie et mon pied de nez à la maladie. J’ai tout fait en marchant. J’ai pleuré, grogné, hurlé en dedans. J’ai joui du soleil, de la pluie, du froid, du mouillé, du chaud. Je respire, je fais travailler mon coeur et mes poumons empoisonnés par les traitements. Je fais mentir mon oncologue qui me prédis tout le temps que je finirai bien par être trop crevé et souffrante pour pouvoir le faire. Je me donne des coups de pieds dans le derrière quand je déprime ou quand j’ai envie de rester écrasée au lieu de bouger. Je profite de mon petit boisé, de mon minuscule coin de nature pour me ressourcer. Je pense aux gens qui m’aiment à ce groupe si dense de famille et d’ami(e)s qui ne me lâchent pas, qui sont là, tout le temps présents, aimants et tendres. Je me lance des défis de marcher plus vite, de courir un petit 200 mètres. Parfois ma tête se vide et c’est magique car j’atteints quelque chose qui ressemble à la méditation. Ce sont des moments de bonheur parfait. Je réfléchis aussi sur ma vie, mes projets, mes valeurs sur ce que je ferais après. Parce qu’il est vrai que tout est bouleversé, il est vrai que tout est remis en perspective.
Alors je marche. Et pour le moment j’y trouve ce dont j’ai besoin. L’ultime crainte … que mon oncologue finisse par avoir raison et que je ne puisse plus marcher. Voilà pourquoi le traitement au taxotère, dont j’ai reçu la première dose il y a deux jours, me fait peur. Il pourrait me ralentir. Il va probablement me ralentir, même sûrement me ralentir. Est là est mon prochain pari. Me ralentir oui, m’arrêter non. C’est la promesse que je me fais, c’est la victoire que je compte remporter.
Question or comment